VOTRE VILLE A T-ELLE UNE ODEUR ?


1 ville, 3 parfumeurs, 1 concours, 1 odeur…

Tel est le décor de Nantes où les habitants voteront bientôt sur la création du parfum qui - pour eux - reflètent le mieux leur propre ville.

Petit détour au sein d’une ville éton’Nantes... !

Comment représenter une ville ? comment la sentir et la retranscrire par un sens si personnel, volatile et souvent subjectif ? 

La ville de Nantes a eu envie de demander à des parfumeurs, des « nez », de venir interpréter la ville, changeante, vivante et… odorante.

 

Marc-Antoine CORTICCHIATO, Mélanie LEROUX et Bertrand DUCHAUFOUR sont les 3 « nez » venus découvrir les quartiers les plus actifs et proposer leur ressenti à travers un parfum ; Passage Pommeraye, vignoble, estuaire, marchés et autres  lieux qui représentent la ville ont fait partie de leur visite guidée.

Ces trois créations de Nantes vont être soumises aux Nantais entre le 28 novembre 2020 et le 03 janvier 2021 au Château des Ducs de Bretagne. Chacun pourra voter pour le parfum qui lui semble correspondre à l’idée qu’il se fait de celui de la ville.

 

Grâce aux responsables du « Voyage à Nantes », le parfum sera ensuite commercialisé en juin 2021 dans un flacon conçu par les artistes nantais de l’« Atelier Polyhèdre » (studio de création et de production de céramique). Il sera produit à grande échelle par la maison « Art & Parfum », basée à Grasse.

 

Concrètement, les Nantais (mais aussi non Nantais) viendront découvrir et humer les trois fragrances ; les votes se feront à l’aveugle, c’est-à-dire qu’ils ne sauront pas qui a réalisé le parfum qu’ils sentent, mais auront une petite synthèse de l’esprit de la fragrance.

>>> Interviewés dans le magazine « 20 minutes » de Nantes le 23 juin 2020, chacun d’eux nous révèle ses premiers secrets :

Marc-Antoine Corticchiato a été interloqué par « par la dualité permanente » de la ville. « Eau de mer et eau douce, Bretagne et Pays-de-la-Loire, sud Loire et nord Loire etc, explique-t-il. Nantes véhicule aussi une image de rêve, de voyage. » Il a évité les « clichés » avec les « odeurs de muguet, de muscadet ou de petit-beurre ». […] « C’est un parfum de sensation qui coule comme l’eau de la Loire qui traverse Nantes », avec « des extraits d’algues, du galbanum (plante herbacée) et du bois de Styrax (arbre d’Extrême-Orient) ».

Mélanie Roux, quant à elle, a tout de suite été « profondément marquée par l’idée de la nature dans la ville ». « Le côté végétal a été mon fil conducteur, avoue-t-elle. J’ai donc voulu une composition végétale, florale et boisée » avec des notes de duos « de muguet et de nénuphars, des cèdres et des tulipiers, de la menthe aquatique et des cyclamens ».

Enfin, Bertrand Duchaufour concède avoir conçu une fragrance « commerciale »  […] : « J’ai voulu composer le parfum autour de différentes notes : le magnolia, qui a été introduit très tôt dans l’histoire de la ville, […] des notes marines matinées de sel, la fraîcheur des agrumes comme le yuzu, la mandarine verte et la bergamote, une légère touche de rhum que l’on retrouve dans le fameux gâteau nantais, le santal et le patchouli (des effets de bois exotiques) et, enfin, le vétiver. » On allait oublier le petit zeste de « douceur amandée ».

 

>>> Dans ce même journal du 30 janvier 2020, ceux-ci déclarent :

 « C’est un projet inhabituel, très plaisant, raconte Bertrand Duchaufour, parfumeur indépendant. Je ne connaissais pas la ville de Nantes et sa découverte a été une très belle surprise. » L’objectif de la visite était « d’observer, de faire le plein de sensations, de couleurs, de formes ». Pas de se focaliser sur les odeurs de la cité, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer. « L’ambiance, l’histoire, le rapport au fleuve, les spécialités… On a emmagasiné beaucoup de choses en deux jours. Nantes est une ville passionnante mais complexe. Il va nous falloir digérer tout ça », complète Mélanie Leroux, créatrice spécialisée dans les parfums sur-mesure.

Selon Jean Blaize, Directeur du « Voyage à Nantes » (dans le Ouest France du 05/11/2019), « une ville a sa personnalité : comme une personne, ça vit, ça dort, ça s’agite, ça se perturbe, ça crée la curiosité… C’est ce qui est intéressant ! C’est pour cela que, selon moi, une ville peut avoir son parfum. Et à Nantes, nous serions les premiers à en avoir un. »

La fragrance élue sera en vente dans de nombreux commerces de la ville et devrait osciller entre entre 20 et 50 euros. Une partie des futures recettes sera reversée à la société publique. En 2017, le département de la Haute-Loire avait lancé une initiative similaire, en créant et commercialisant un parfum évoquant son territoire. 

A n’en pas douter…

cette idée éman’Nantes donnera une création fascin’Nantes !

Quelques citations littéraires inspir'antes sur les villes :) 

GUY DE MAUPASSANT 

« Toutes les odeurs errantes, celles des rues, des champs, des maisons, des meubles, les douces et les mauvaises, les odeurs chaudes des soirs d’été, les odeurs froides des soirs d’hiver, ranimaient de lointaines réminiscences, comme si les senteurs gardaient en elles les choses mortes embaumées ».

 

JEAN GIONO

Vérone – 1951 : « Vérone sent le melon fait ».

 

CHARLES BAUDELAIRE

Bruxelles - 1864 : « On dit que chaque ville, chaque pays a son odeur. Paris, dit-on, sent ou sentait le choux aigre. Le Cap sent le mouton. [...] La Russie sent le cuir. Lyon sent le charbon. L’Orient, en général sent le musc et la charogne. Bruxelles sent le savon noir. Les chambres d’hôtel sentent le savon noir - avec lequel elles ont été lavées. Les lits sentent le savon noir - ce qui engendre l’insomnie pendant les premiers jours. Les serviettes sentent le savon noir. Les trottoirs sentent le savon noir ».

 

THERESE ROUDNITSKA

Grasse - milieu XXè : « Encore jusqu’après la guerre, les rues de Grasse étaient très odorantes. Les industries de la parfumerie installées dans le coeur de la ville utilisant beaucoup d’eau dans leurs traitements, déversaient celle-ci dans les rues. On pouvait ainsi sentir différentes senteurs qui se dégageaient des rigoles longeant les maisons où coulaient les eaux de rinçages chargées d’odeurs d’oranger, de ciste ou de mousse de chêne… ».

 

JULIEN GRACQ

Ajaccio – vers 1967 : « L’odeur du maquis vient au-devant de vous au large du port d’Ajaccio et ne vous quitte plus : en rouvrant au retour ma valise, je la retrouve sur mes vêtements enfermés. C’est une odeur sèche, chaude, résineuse, mais sur cette exhalaison de pinède surchauffée s’exhalent des essences plus délicates : tantôt sucrées et presque mielleuses, à la manière du sureau ou du seringa, tantôt épicées et presque sacramentelles, comme s’il y brûlait par moments un grain d’encens : l’impression de sécheresse pince les narines, en même temps qu’elle les réjouit, comme si tout ce qu’on respire venait d’être vaporisé sur une pelle rougie au feu : ce sont déjà les parfums de l’Arabie Pétrée, non les molles odeurs défaites qui coulent de nos forêts de brouillard. Auprès de l’odeur des forêts landaises que pourtant j’aimais déjà, c’est comme si on libérait les éthers subtils d’un grand bourgogne après avoir débouché une bouteille d’aramon ».

 

MICHEL DE MONTAIGNE

Paris - vers 1580 : « Le principal soing que j’aye à me loger, c’est fuir l’air puant et poisant. Ces belles villes, Venise et Paris, altèrent la faveur que je leur porte, par l’aigre senteur, l’une de son marets, l’autre de sa boue ».

 

STEFAN ZWEIG

Londres - vers 1920 : « Pourquoi ne pas revoir Londres après des années et avec des regards neufs les musées, le pays et la ville? [...] Je redescendis après trente ans à la gare de Victoria, et je m’étonnai seulement à mon arrivée de ne pas rouler en cab jusqu’à mon hôtel, mais en auto. Le brouillard, le gris tendre et frais, était semblable à celui de jadis. Je n’avais pas encore jeté un coup d’oeil sur la rue, mais mon odorat avait déjà reconnu, après trente ans, cet air singulièrement âpre, dense, humide et qui vous enveloppe de près ».

 

SOPHIE LIGNON-DARMAILLAC

Séville - jardin de l’Alcazar - 1998 : « Séparé des grands axes de circulation par de hautes fortifications, le jardin du palais royal présente une disposition en forme de croix d’origine almohade, faisant référence aux quatre fleuves de la vie qui coulent dans le jardin du paradis. Une pénétrante odeur de buis souligne les allées: les cyprès et les stipes des palmiers rythment l’espace; les fines branches des orangers et des citronniers ombragent les parterres fleuris. Les nuits d’avril, leurs fleurs largement dilatées exultent leur azahar (fleur d’oranger) envoûtant, l’amertume des conifères s’estompent, les tubéreuses enivrent. L’hiver, dominent les parfums capiteux de jasmins et le fumet des acacias. Plus tard, au printemps, les sucs des rosiers se mêlent aux forts arômes de chèvrefeuille et de genêts, de menthe et de mirabelles, aux odeurs entêtantes des lys et des narcisses. Plus tard encore, dans les nuits chaudes de l’été les dames de nuit triomphent, odeur violente d’héliotrope, aux effluves vanillés. Au hasard des parterres, émane le poivre des oeillets. Dans l’atmosphère quelque peu rafraîchie de l’automne, fleurissent les néfliers du Japon dont les fragrances se mêlent aux parfums délicats des armoises, mélisses et verveines. Au-delà des jardins de l’alcazar, plus vaste, plus ombragé, le parc Maria Luisa, offre à un plus grand public ses essences méditerranéennes et tropicales ».

 

JULES HURET

L’usine de crayons Faber – Nuremberg – vers 1910 : « La fabrique Faber compte 1000 ouvriers. La réserve de bois se trouve dans la cour, sous un vaste hangar surmonté de six paratonnerres ; là sèchent des montagnes de poutres de cèdre, de tilleuls entiers, des bouleaux de Suède et des tas de petites planchettes qui furent sciées sur le lieu d’abatage. Une odeur exquise, balsamique, émane de ces bois de cèdre ; on respire partout la poussière parfumée qui s’échappe des scies mécaniques. Tous les bâtiments sont couverts de cette cendre rouge. Rien que de poussière de cèdre, la maison recueille dans ses ateliers près de 15.000 kilogrammes chaque année, revendus aux fabricants d’huiles éthériques, aux parfumeurs qui en tirent, par le mélange, des parfums variés ».

 

GEORGES SIMENON

Maisons – vers 1914 et 1975 : « Hier, je me laissais aller à évoquer ceux des souvenirs d’enfance qui nous poursuivent plus ou moins toute notre vie [...] J’oubliais une autre sensation, aussi importante, sinon plus : les odeurs. Les maisons jadis, avaient chacune leur odeur, en grande partie selon la cuisine qu’on y faisait. J’ai dit qu’en revenant de l’école, je savais, dès l’entrée dans le corridor, ce qu’on allait manger, car il y avait des odeurs aussi diverses que celles du poisson, des moules, dont j’étais friand, du chou rouge, des navets, du rôti du dimanche clouté de girofle, etc. [...] Je n’irai pas jusqu’à dire que les maisons n’ont plus d’odeurs. Certaines en ont encore, les plus vétustes, celles qui n’ont pas encore, comme à Epalingues, au-dessus d’un immense fourneau, une hotte avec aspiration automatique des vapeurs et des odeurs. Epalingues ne sentait rien. On pouvait y cuire du maquereau sans que, même dans la cuisine, on puisse le deviner ».

 

ABBE JEAN-PIERRE PAPON

Nice – 1780 : « Après avoir passé le Var, on entre dans le terroir de Nice, borné au midi par la mer et au nord par les hautes montagnes des Alpes, qui le mettent à l’abri du froid aquilon, et sur lesquelles la nature déploie un caractère si fier et si imposant. En hiver, lorsque l’aride sommet de ces montagnes est caché sous des tas énormes de neige, c’est un spectacle bien frappant de voir à leur pied la nature se couronner de fleurs et même de fruits, sur cette verdure éternelle dont les jardins sont émaillés. C’est au mois d’avril surtout qu’elle paraît dans toute sa beauté ; la vigne et l’oranger exhalent une odeur qui, se mêlant à celle de l’œillet, de la rose et du jasmin, parfume l’air d’alentour ».

 

GEORGES SIMENON

La loge de concierge - Paris - vers 1925 :  « Il était rare que je me promène dans les beaux quartiers où cependant je travaillais et j’habitais. C’était la vraie rue qu’il me fallait, avec ses petites vieilles, ses vieillards solitaires, ses commères forte en gueule, ses loges de concierge où régnait une odeur de cuisine mijotée ».


JEAN GIONO

Paris – rue de Belleville – vers 1930 : « Le long de la rue, les épiceries et les magasins de légumes ne sont plus éclairés que par des lampes d'intérieur. Les commis rentrent les étalages. Les barriques d'anchois salés, avec l'alignement rayonnant de leurs petits poissons métalliques, les grappes de stockedfish, les sacs de riz, de sucre, de fèves, les caisses de pâtes alimentaires. Au bord du trottoir dorment quelques voitures dévastées de marchandes des quatre-saisons engluées d'épluchures pendantes, de queues de poireaux, de feuilles de choux, de salades. La rue sent la saumure et le jardin potager, et quelquefois l'épice - un parfum aigu et qui bouleverse tout l'équilibre d'un homme - et quelquefois le drap, le cuir ou le fer-blanc. Il n'y a toujours dans la rue que cette lueur rouge qui sort des boutiques et, de loin en loin les becs de gaz. Devant certains magasins déjà fermés on passe dans une zone d'ombre. Il y a presque toujours à ces endroits-là quelqu'un assis sur le trottoir, avec un journal sous les fesses ».


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