Hirac GURDEN est Directeur de recherches en neurosciences au CNRS et spécialiste des mécanismes cérébraux des cinq sens,
et tout particulièrement l’odorat.
Passionné et passionnant, il nous invite – dans son dernier livre « Sentir » - à un fabuleux voyage dans le monde des odeurs et de l’odorat.
Celui-ci nous explique comment les odeurs sont représentées dans le cerveau et comment nous utilisons les informations olfactives pour guider nos comportements. Il décrit aussi, dans son ouvrage, les découvertes scientifiques les plus récentes.
Pour résumer la longue histoire des fonctions olfactives qui ont toujours accompagné les êtres humains et les ont aidé à survivre, Hirac GURDEN démontre l’importance de l’olfaction dans le développement des sociétés humaines à travers une règle mnémotechnique :
les 5 « S » : spiritualité, santé, séduction, saveur et sécurité.
SPIRITUALITE : de l’odeur à l’élévation spirituelle
Il a été démontré l’utilisation des odeurs dans toutes les religions existantes, qu’elles soient polythéistes, animistes ou monothéistes, car ces dernières l’ont toutes utilisé dans leur recherche d’élévation spirituelle.
Sur tous les continents, les femmes & les hommes ont pratiqué la fumigation pour honorer leurs dieux, éloigner les mauvais esprits ou accompagner leurs rituels.
Les odeurs, libérées naturellement par les plantes ou bien par fumigation (après la maitrise du feu par l’humain), ont toujours fait l’objet de fascinations individuelles ou collectives. Bien qu’invisibles, les fumées odorantes ont accompagné les rites envers les divinités, les esprits, mais aussi les offrandes.
« Parmi les tout premiers initiés, les chamanes sont des herboristes qui communiquent avec les esprits par l’intermédiaire des odeurs dégagées par la fumigation de certaines plantes comme la sauge blanche, qui est pour eux une plante sacrée. Ils sont également aromathérapeutes, c’est-à-dire qu’ils utilisent les effets des plantes et de leurs dérivés par contact avec la peau, par exemple des propriétés antiseptiques, et aromachologues, ils connaissent les effets des odeurs végétales sur l’humeur, par exemple des propriétés relaxantes ».
Petit rappel, le mot parfum provient de « per fumum » signifiant – en latin – « à travers la fumée », car le parfum était une résine aromatique brûlée qui permettait de communiquer avec d’autres dimensions, celles des dieux et esprits.
C’est grâce à l’existence de papyrus remontant à 1600 ans avant J.C., en Egypte Antique, que l’on peut trouver les premières traces écrites de la fabrication de parfums pour honorer les dieux. A l’époque, le pays était riche de Lotus bleu du Nil, de jasmin et de rose et les Egyptiens de l’époque considéraient les senteurs dégagées par ces plantes et fleurs comme la sueur des Dieux. Le parfum, produit par fumigation des plantes, était le meilleur moyen d’accompagner l’âme d’un défunt à rejoindre l’au-delà et les divinités.
Mais les prêtres de l’Egypte Antique ont su créer un parfum, le « kyphi », qui « sent bon deux fois » : une première fois pour les « vivants » (et surtout pour le Pharaon), une seconde fois pour les dieux.
« La préparation de plantes, surtout à base de résines, de racines et de bois odorifères aux propriétés thérapeutiques, avec une signature olfactive, se situe à la fois dans la dimension spirituelle et dans celle de la santé ».
Plus tard, à la fin du VIè siècle, l’Islam est fortement marqué par les Parfums et leurs utilisations.
Dans le Christianisme, les odeurs sacrées seront également présentes. Le XVIIè siècle verra apparaitre l’expression « mourir en odeur de sainteté », ou « être en odeur de sainteté » (expression de la croyance de certains Saints ou bienheureux qui produiraient des odeurs uniques et attractives, à la fois épicées et sucrées).
Les cadeaux des Rois Mages à l’Enfant-Jésus comportent deux résines odoriférantes, très chères et particulièrement prisées : la Myrrhe et l’Encens (ce dernier sera grandement utilisé en fumigation dans les encensoirs du christianisme lors des messes).
« En Extrême-Orient, silence et concentration : la cérémonie du « ko-do » va commencer. Le « kodo » japonais, « ko » (« ce qui est parfumé » et « do », « voie » ou « art », est une voie sensorielle et spirituelle, un art qui a été créé à l’apogée de l’époque Edo, au XVè siècle, et qui complète les arts raffinés basés sur la cérémonie du thé, la calligraphie ou encore l’art floral ».
Outre un usage religieux spirituel, les parfums ont aussi pu, à ces périodes d’Egypte Ancienne et d’Antiquité, servir à purifier les maisons, célébrer des fêtes, soigner différents maux et séduire l’être aimé.
SANTE : des plantes aromatiques pour purifier et guérir
C’est en Mésopotamie, 5000 ans avant notre ère, que les plus anciens textes sur la préparation de plantes médicinales ont été retrouvés. Des recettes à partir de plantes y sont expliquées et constituent la base de la « pharmacopée mésopotamienne ».
En Europe, c’est au IVè siècle avant J.C. que l’on doit la fondation de la botanique grâce au grec Théophraste, élève d’Aristote. Classifiant les plantes de façon particulièrement précise (entre autres avec les notions de floraison, fécondation et saisonnalité), les recherches et connaissances permettront d’aboutir, plus tard, à la classification des propriétés médicinales des herbes aromatiques dans un ouvrage clé en Occident : le traité « de la matière médicale » écrit par Dioscoride, médecin grec du Ier siècle après J.C.
La distillation des plantes (qui remonterait à 3500 ans avant J.C. en Mésopotamie) pour sera une innovation cruciale, technique largement améliorée par la suite par les Arabes grâce à l’amélioration de l’alambic pour extraire des eaux aromatiques médicinales à partir du VIIIè siècle de notre ère.
En parallèle, au IIè siècle avant J.C. le médecin Grec Galien impose sa vision d’une transmission des maladies par la diffusion aérienne d’odeurs fétides, signes de la présence de miasmes dangereux. Les écrits de Galien vont influencer la Médecine pendant des siècles, notamment la médecine du Moyen-Age. Odeurs putrides, hygiène désastreuse, absence de fosses, les épidémies s’enchainent : choléra, typhus, peste… (quand la peste s’abat sur l’Europe en 1348, elle tue un tiers de la population européenne et le continent se retrouve noyé sous des odeurs nauséabondes). Les médecins vont reprendre les écrits de Galien et, pour se protéger, vont porter de longs masques en forme de longs nez, remplis d’épices et d’herbes aromatiques (myrrhe, thym, camphre, mélisse..) dont les odeurs aussi intenses qu’agréables étaient signes de protection.
Ces maladies vont ravager la population jusqu’au XVIIIè siècle (la dernière peste date de 1720 à Marseille). Mais à la fin du XIXè siècle, Alexandre Yersin, Médecin et bactériologiste, découvre les origines de la peste, ce qui innocentera les miasmes aériens et mauvaises odeurs dans l’origine des maladies.
En parallèle se développent au Moyen-Age et en Occident des « jardins médiévaux », tout d’abord dans les monastères où le travail sur les propriétés thérapeutiques des plantes continue. Des moines développent cette activité, proche de celles d’herboristes et d’apothicaires, surtout dans le Sud de la France (région dense en végétaux).
« En 1635, le « jardin royal des plantes médicinales » est fondé par Louis XIII pour la formation des Médecins et Apothicaires ». Des jardins thérapeutiques continuent au fil du temps, notamment aujourd’hui en gériatrie et psychiatrie pour leurs vertus multisensorielles stimulantes.
SENSUALITE : du parfum à la séduction
Depuis la Grèce Antique, l’utilisation des parfums pour la médecine s’applique à la séduction. Les Grecs ont inventé le verre soufflé et créé des flacons, ils peuvent donc conserver et vendre les parfums (qui étaient précédemment conservés dans des contenants de terre cuite). Après différentes conquêtes de l’Egypte et de la Perse, les Grecs détiennent des secrets de fabrication de parfums et restent des maîtres parfumeurs.
A l’avènement de l’Empire Romain, les bains dans les thermes sont parfumés, ils sont très à la mode et toutes les classes sociales en bénéficient. Des recherches lors de fouilles dans des échoppes de Pompéi sur la composition des parfums - déjà stockés dans des ateliers de verrerie – révèlent la présence de jasmin, safran, cardamome, myrrhe, cannelle.
Le 1er parfum de l’histoire occidental remonte à 1370, créé pour Elisabeth de Pologne, épouse du Roi Charles Robert de Hongrie. Romarin, eau de rose et fleur d’oranger composent ce parfum (obtenu par la distillation de l’époque) qui lui aurait permis de conserver sa beauté.
La Renaissance est marquée par la création abondante de parfums, surtout dans la ville de Grasse. Au XVIè siècle, Catherine de Médicis va répandre l’usage du parfum, proposera de cultiver à Grasse les plus belles fleurs (jasmin, rose, mimosa, violette), sans oublier les plantes aromatiques (verveine, sauge, mélisse) et développera aussi les orangeraies.
La Renaissance a aussi été une période propice aux eaux de toilette, dans un but hygiéniste afin de pouvoir se laver sans se découvrir, mais également pour lutter contre les miasmes volatils, la peur des maladies étant encore présente dans les esprits.
Les parfums sont aussi considérés comme des purifiants (camphre, sauge, benjoin).
C’est au XVIIIè siècle que les importations en faune et flore des comptoirs maritimes en Europe vont faire évoluer la classification des odeurs. Carl von Linné, célèbre naturaliste, travaillera sur une première classification avec 7 classes d’odeurs hétérogènes qui fascineront scientifiques et parfumeurs.
SAVEUR : du nez à l’assiette
Nous le savons tous, sans l'odorat, il n'y a pas de saveurs. Pour pouvoir apprécier un plat (ou un vin), il faut commencer par le sentir. C'est ce que nous faisons tous les jours en préparant un repas : mettre la tête au-dessus de la casserole ou de notre assiette pour sentir les bonnes odeurs, les épices, les arômes, et ensuite le goûter.
SECURITE : de l’odeur au danger
L'odeur nous fournit un avertissement, un signal en cas d'événements dangereux tels que des incendies ou des fuites de gaz et nous permet de réagir, nous protéger, et de nous sauver. Dans l’alimentation, il nous permet de savoir si un aliment est périmé et donc dangereux.
L’odorat a ainsi joué un énorme rôle dans notre survie et la continuité de notre espèce.
Et pour écouter un podcast avec Hirac GURDEN :)
Podcast "A fleur de nez" :