BONHEUR ET SOUVENIRS


Le bonheur est-il dans le moment présent, comme nous l’enseignent de nombreux maitres spirituels avec "l’ici et maintenant " ?

ou bien se vit-il avec le passé grâce à nos meilleurs souvenirs ?

Petit tour d’horizon avec MEIK WIKING, danois,

qui a fondé "l’Institut de recherche sur le Bonheur",

car, selon lui, la mémoire a la capacité de nous rendre plus heureux.


Il est aussi connu pour avoir vendu des best sellers :

« l’art de se créer de beaux souvenirs » (First Editions), mais surtout les deux suivants, vendus à près de 2 millions d’exemplaires : « le livre du Hygge » et « le livre du lykke » (Editions Pocket).

 

Dans le magazine FLOW de février 2020, il répond à certaines questions

en y expliquant son point de vue.

 

« On vous surnomme l’homme le plus heureux du monde, quel est votre secret ? » 

Je n’ai pas vraiment de secret, mais j’ai beaucoup de chance. Je suis né dans un pays en paix, où tout le mode a accès à l’éducation et à la santé, où beaucoup de choses merveilleuses sont disponibles. Ma famille est en bonne santé, heureuse, et je fais ce que j’aime, à savoir travailler sur la recherche des causes du bonheur. C’est passionnant et gratifiant. Je dispose donc de tous les ingrédients pour être heureux.

 

 

« A quoi ressemble le quotidien quand on travaille à l’institut de recherche sur le bonheur ? »

Beaucoup de gens s’imaginent que notre institut est un endroit magique […]. En fait, il s’agit d’un travail scientifique et multidisciplinaire autour du bien-être et du bonheur. L’équipe est constituée de neuf chercheurs, issus des sciences politiques, de la psychologie, de la sociologie, des sciences économiques et de l’anthropologie. Au quotidien, notre travail n’a rien de glamour, nous compilons des chiffres et des données sur nos ordinateurs. Puisque nous savons que notre activité intrigue, nous avons décidé de créer un musée associé à nos recherches, il devrait ouvrir au printemps.

« Selon le classement mondial des pays les plus heureux, le Danemark arrive en tête, alors que la France est 62è, comment l’expliquez-vous ? ».

C’est une énigme… si on étudie les différents facteurs de bonheur, les Français devraient être plus heureux qu’ils ne disent l’être. Notamment avec le critère du temps passé à table, pour lequel vous êtes champions du monde. Le résultat est certes lié à la qualité de la cuisine et au plaisir du vin, mais il y a également une dimension sociale autour du repas dont de nombreux pays devraient s’inspirer.

 

Certains chercheurs estiment que ce faible niveau de bonheur en France est lié au système éducatif. Très tôt, les écoliers français sont notés et classés les uns par rapport aux autres. Ainsi, on laisse entendre aux enfants que le bonheur est un jeu à somme nulle : si je gagne, toit tu perds, et si je suis heureux, toi tu seras forcément malheureux. Il en découle de très nombreuses comparaisons, notamment sur le plan social. Ce n’est pas spécifique à la France, c’est même très humain, on a tous tendance à se comparer les uns aux autres, mais peut-être ce mécanisme est-il plus présent dans votre pays […]. 

« Pour votre dernier livre, vous avez demandé à mille personnes de raconter leur meilleur souvenir. Pas facile de choisir… ».

Les mécanismes de la mémoire humaine sont fascinants, nous avons la capacité d’enregistrer un nombre illimité de souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais. La mémoire fonctionne un peu comme un muscle, plus on pense à quelque chose, plus on risque de se le remémorer. Elle est souvent déclenchée par des associations : ce que l’on voit ou entend fait surgir un souvenir.

 

Nous avons constaté que certaines personnes ont éprouvé des difficultés à se rappeler des moments heureux de leur vie, particulièrement parmi les gens souffrant de dépression. Or, les aider à retrouver des traces de ces moments permet justement de lutter contre la dépression. La mémoire va influer sur la façon dont on se sent et sur notre identité, elle construit qui nous sommes. Par ailleurs, ce sont les souvenirs partagés qui nous unissent aux autres, agissant comme un ciment social.

 

« Vous dites que la nostalgie produit des sentiments positifs et accroît l’estime de soi. N’incite-t-elle pas également à la mélancolie ? »

La nostalgie peut effectivement induire ces deux conséquences. Certains peuvent se remémorer un passé contenant des épisodes relationnels ou professionnels bien plus heureux que ce qu’ils vivent aujourd’hui. Ces souvenirs ont un effet positif, dans la mesure où ils témoignent à faire et vivre des choses agréables, même s’ils s’accompagnent aussi d’une certaine tristesse, puisque ces choses sont révolues. J’en profite pour souligner que l’on a souvent tendance à revisiter le passé de manière idéalisée.

 

Durant sa première campagne, Donald Trump a agi sur ce mécanisme : avec son slogan « Make America great again », il a invoqué la nostalgie chez ses concitoyens, il a fait la promesse d’un retour vers un passé radieux, mais c’était quand exactement ? il ne l’a jamais précisé.

« Votre livre s’intitule « l’art de se créer des beaux souvenirs », ce qui implique d’être dans l’action au lieu de profiter du moment…

Ce n’est pas vraiment un paradoxe, je vais l’illustrer avec un exemple.

J’ai discuté avec une lectrice polonaise qui se souvenait d’un événement : quand elle avait 8 ans, elle était avec sa maman et sa sœur autour d’une table sur laquelle un plat traditionnel était servi, il y avait aussi un bouquet de fleurs jaunes. C’était un moment de bonheur partagé et leur mère leur a dit : « j’espère que vous vous souviendrez de ce moment ». Effectivement, trente ans plus tard, elle se le rappelait parce que, justement, elle avait fait l’effort de se concentrer sur le moment vécu.

 

Il n’y a donc pas de contradiction entre le fait de vivre l’instant présent et de s’y attacher, c’est l’essence même du phénomène de mémoire.

C’est par l’observation et la concentration que l’on peut ensuite garder en mémoire le moment que l’on vit pleinement.

 

 

« Mais dans une vie centrée sur l’instant présent, plus consciente, les souvenirs ont-ils vraiment de l’importance ? »

Je ne vois pas de contradiction entre le fait de vivre l’instant et cette culture du souvenir. Je souligne simplement que les traces du passé ont une incidence sur la façon dont on ressent le présent. Et d’ailleurs, elles peuvent avoir une influence sur notre vie future. Il est important de vivre l’instant présent à 100 %, mais il faut également le conserver pour pouvoir le savourer à l’avenir.

 

A l’instar de cette maman polonaise qui a attiré l’attention de ses enfants sur le moment présent, pour qu’ils puissent se remémorer cet épisode et apprécier ce qui est devenu un moment du passé.

 

Il s’agit de conserver le moment présent dans une bouteille pour pouvoir, plus tard, en humer le doux parfum. 

« Comment faire pour conserver ces bons souvenirs ? »

Quand on demande à des centenaires de raconter les moments importants de leur vie, on s’aperçoit qu’une grande partie de ceux qu’ils évoquent se sont déroulés lorsqu’ils étaient âgés de 15 à 30 ans. Ils en énoncent beaucoup moins entre 50 et 70 ans. Ce pic de mémoire correspond à une période durant laquelle la quantité de premières expériences est la plus importante : premier baiser, premier emploi, premier appartement… Il y a beaucoup moins de premières fois durant les années qui suivent et, de ce fait, le rythme de la vie semble s’accélérer.

Tout passe très vite dans la mesure où l’on ne se souvient de presque rien. Il est donc possible de ralentir la vitesse du temps, ou en tout cas d’étirer ces années-là, en y ajoutant de nouvelles expériences.

 

 

« Vous préconisez donc de faire la démarche d’ajouter des -premières fois- dans sa vie ? »

Quand on découvre quelque chose de nouveau, on sort de sa zone de confort et c’est susceptible de faire travailler la mémoire. Par exemple, j’organise un pique-nique annuel et je demande à chaque invité d’apporter un plat qu’il n’a jamais goûté. Il s’agit donc d’une première expérience, certains vont peut-être découvrir les piments rouges à la mexicaine ou d’autres mets qu’ils ne connaissaient pas, susceptibles de marquer leur mémoire et leur imagination.

 

Il s’agit donc d’un souvenir gastronomique, mais il pourrait aussi bien s’agir d’une réminiscence géographique, une impression nouvelle ressentie avec les sens.

 

Un souvenir, ce n’est pas seulement une image, les cinq sens interviennent.

 

Andy Warhol avait l’habitude de porter un parfum quotidiennement pendant trois mois, puis de conserver le flacon. Quand il voulait revenir au printemps 1982, il lui suffisait d’ouvrir le flacon correspondant à cette époque pour se replonger aussitôt dans cette période.

 

Lorsque j’ai démarré cette étude, je pensais que la mémoire était un phénomène aléatoire, que l’on ne pouvait pas maîtriser. Finalement, j’ai constaté qu’il était possible d’influencer ses souvenirs, car ils nous permettent de nous faire une idée de qui nous sommes.

 

Source : Magazine Flow n°39 de février 2020


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